Le secteur du tabac est depuis longtemps un oligopole dur qui tire ses profits colossaux de la dépendance à la nicotine.


Face à ce gigantesque problème de santé publique, l’action de l’Etat sur les trente dernières années (taxation, interdiction dans les lieux publics, communication, substitut à la nicotine) s’est avérée peu efficace au vu des volumes de cigarettes vendus année après année, du nombre de fumeurs, du risque de maladies graves et de décès (estimés à 700.000 par an dans l’UE) imputables à l’inhalation de résidus de combustion thermique associés à la consommation de tabac.

Apparue il y a dix ans, la cigarette électronique est en train de bousculer cette impasse. Rendue possible grâce au progrès technologique dans le domaine des batteries, la cigarette électronique reproduit les gestes du fumeur qui inhale de la vapeur de propylène-glycole le plus souvent parfumée, dosée ou pas en nicotine. Le propylène-glycole est un produit certifié non nocif, utilisé depuis longtemps dans la production d’aérosols ou de fumée factice dans les spectacles.

Des millions de fumeurs ont abandonné le tabac pour adopter la cigarette électronique qui se développe rapidement. Ils seraient 7 millions en Europe à l’utiliser. Aux Etats-Unis, les ventes devraient tripler en 2014 comparé à 2013. Selon certaines projections, la cigarette électronique pourrait dépasser la cigarette en dix ans. La France compte déjà une dizaine de fabricants et plus de 500 boutiques spécialisées. L’oligopole mondial du tabac est en train d’assister au succès foudroyant de cette nouvelle industrie tout en constatant l’érosion de son pouvoir de marché.

Les consommateurs qui remplacent le tabac par la cigarette électronique reçoivent dorénavant leur dose de nicotine sans les effets dévastateurs des résidus de combustion thermique responsables de la plupart des maladies. Un problème de santé publique qui semblait irrésoluble il y a peu est en train de fortement s’améliorer grâce à l’émergence d’une innovation et à l’esprit d’entreprise. Cette situation apparaît comme un exemple marquant d’exercice de la moralité spontanée et involontaire de l’entreprise privée.

L’Etat, qui n’a joué aucun rôle dans l’émergence de cette arme fatale contre le tabac, a néanmoins toujours son rôle central à jouer. Ce rôle n’est pas d’innover ni de produire le bien. Son rôle est de réglementer ce marché du fait de son impact sur la santé publique. Lui, et lui seul, est à même de déterminer les bonnes normes de qualité et les faire respecter. Il doit mettre au point la stratégie publique qui permettra de sevrer les fumeurs du tabac, voire de la nicotine. L’Etat devrait saisir cette opportunité pour porter un coup mortel à l’oligopole du tabac, en protégeant et dynamisant la concurrence sur ce nouveau marché.

L’émergence de la cigarette électronique illustre parfaitement la complémentarité des rôles du privé et du public dans la bonne société. Le privé sait, à partir d’une opportunité technologique, faire émerger rapidement un produit viable économiquement et qui correspond à une attente non encore exprimée du consommateur. Il prend les risques, trouve les solutions techniques de production et de distribution ainsi que le design adapté. Le secteur public ne sait pas le faire, ou en tout cas moins vite et moins bien.

Inversement, la profitabilité des firmes qui vont se développer autour de la cigarette électronique ne saurait être suffisante pour autoriser et justifier l’existence d’une industrie qui touche à la santé publique. Même si, dans le cas présent, il y a une convergence heureuse entre le profit et la santé publique, il appartient exclusivement au législateur de déterminer s’il est bon que cette industrie se développe et d’établir les normes qui doivent encadrer ce développement. Le profit ne saurait tenir lieu de finalité, il est juste le moteur du progrès social.

 

Source: Les Echos

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